La première fois que j'ai pratiqué une danse consciente, j'étais un animal craintif utilisant son aisance physique pour fuir comme une biche au moindre frémissement, ses longs cheveux pour se cacher derrière, son faux-self pour donner le change. De loin, j'étais super à l'aise. Dedans, pétrifiée. Mais seul un oeil avisé pouvait le discerner. Incognito dans ma cape d'invisibilité: j'étais une timide anonyme bien au chaud dans ses pensées.
Je les aimais mes barricades chéries, c'est pas pour rien que je les avais dressées. Elles et moi on vivait une grande aventure. L'aventure intérieure: avec des châteaux, des contrées, des dragons, des hommes oiseaux, des couleurs, des cartes, des femmes fleurs, tout y était... Il ne manquait qu'une chose: donner un beau rôle aux envahisseurs, pour compléter le tableau et faire de ma vie une aventure humaine.
La conscience est un Graal, sa quête une Odysée, car l'égo est rusé. Il fallait savoir tendre des pièges si tendres que je sois heureuse d'y tomber, et d'y trouver mes armes. C'est entre autres pour ça que j'ai choisi mes enseignants. Ils n'étaient ni vieux, ni verts, ni courts sur pattes,... mais tout aussi inspirés, sages et clair-voyants que Yoda. Car il fallait être rusé, il fallait avoir roulé sa bosse, connaître le labyrinthe intérieur et ses ficelles, pour démêler mes pelotes et m'ouvrir les portes, pour déjouer les pièges que je m'étais tendus, en boucle comme le poisson dans son bocal ayant l'impression de parcourir le monde.
Il fallait aussi que leurs bras soient assez grands pour contenir l'espace, le vaste monde de mes explorations, et accueillir tout ce qui en émergeait, le beau comme le laid, mes monstres et mes déesses, les litres de larmes versés en plein désert pour mettre à flot le navire de mes envies profondes.
Il fallait qu'ils aient eux mêmes pris de la hauteur pour m'apprendre à voir ce petit monde comme on observe une fourmillière à travers la voie lactée.
Et si la salle de danse était ce pont entre nos univers où l'on danse sur les épaules des géants? Gratitude intergalactique à Lucie Nérot, Andrea Juhan, Vic Cooper, Kathy Altman, Lori Saltzman, Jacques Laurent, les géants qui ont porté, portent et porteront ma danse. Et aux autres...
Alors, on danse?